De plus en plus d’écoles ont recours au « roi des jeux », parfois dès la maternelle. Le milieu de la recherche se penche aussi sur ses vertus. Enquête.

Qui fut le premier pousseur de bois? Mystère. Tout juste connaît-on son origine. Les plus anciennes pièces furent retrouvées par des archéologues sur les terres de l’ancienne Perse et datent du VIIe siècle. Une chose est certaine: la fascination que suscite ce jeu intemporel ne faiblit pas. Au contraire! Il ne s’est même jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui. Au pays de Rousseau et de Diderot -tous deux fervents pratiquants-, il a retrouvé une nouvelle jeunesse. La preuve par les chiffres: sur les 60000 membres que compte la Fédération française des échecs (FFE), 40000 ont moins de 20 ans. 

Un langage universel

En avril dernier, le championnat de France des jeunes accueillait 1449 joueurs. Un record… bientôt à nouveau battu, puisque, pour la prochaine édition, qui aura lieu à Agen en 2018, les organisateurs tablent sur 1600 à 1800 participants. Les raisons de ce « baby-boom »?  

« C’est évidemment Internet qui a révolutionné la pratique et ouvert de nouveaux horizons! résume Bachar Kouatly, président de la FFE. Plus besoin de pousser la porte d’un club, il suffit d’allumer son ordinateur pour se confronter à des milliers d’autres joueurs. » Peu importe que ces derniers habitent de l’autre côté de la planète, les règles sont les mêmes partout et le langage des joueurs d’échecs est universel. 

« Le cerveau ressemble à une page blanche »

Le chef de file de cette nouvelle génération qui aime taquiner l’échiquier en ligne se nomme Maxime Vachier-Lagrave. A 27 ans, le numéro 1 français (et quatrième mondial) a déjà une longue carrière derrière lui. Dès l’âge de 5 ans, il se familiarise avec son premier jeu électronique, offert par son père. Puis il enchaîne les titres de champion de France junior, devient grand maître international à 14 ans et champion du monde junior deux ans plus tard.  

A longueur d’interviews, le lauréat aux allures d’étudiant en école d’ingénieurs martèle que son plus bel atout est sa jeunesse et surtout son cerveau, au top de ses facultés. Ce que les chercheurs en neurosciences ne peuvent qu’approuver: plus le cerveau est sollicité tôt en termes d’apprentissage, plus les connaissances sont facilement et durablement assimilées. Les échecs ne dérogent pas à la règle. « Le cerveau, à la naissance, ressemble à une page blanche », résume Francis Brunelle, professeur de radiologie pédiatrique à l’hôpital Necker, qui s’est penché sur l’apport cognitif du jeu. »Les circuits cérébraux s’organisent et se modifient structurellement en fonction des pratiques de l’enfant. Les échecs sont, en ce sens, très intéressants et constructifs », poursuit le spécialiste. 

 

« Développer des raisonnements mathématiques et stratégiques »

Le monde de l’éducation l’a bien compris. De plus en plus d’écoles proposent une initiation aux échecs dans le cadre d’ateliers périscolaires. Les enseignants s’en servent également comme support pédagogique dans différentes disciplines comme, bien sûr, les mathématiques, mais aussi parfois l’histoire, le français, les arts plastiques ou l’éducation physique et sportive.  

Le ministre Jean-Michel Blanquer, bien avant son arrivée Rue de Grenelle, a beaucoup oeuvré pour l’introduction des échecs -l’une de ses passions- dans les salles de classe. En 2012, en tant que directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO), il signe une circulaire encourageant cette discipline. « Les échecs conduisent à développer des raisonnements mathématiques et stratégiques, mais aussi des capacités de recul, d’analyse et d’abstraction, qui seront utiles à l’élève tout au long la scolarité », écrit-il dans son livre L’Ecole de la vie (Odile Jacob, 2014). 

« La notion de collectivité et d’échange »

Longtemps perçu comme élitiste, celui que l’on surnomme « le jeu des rois et le roi des jeux » avance ses pions jusque dans les quartiers populaires. Depuis huit ans, la fondation L’Echiquier de la réussite organise et finance des projets destinés à le faire découvrir aux élèves des établissements classés en réseau d’éducation prioritaire (REP) ou situés en zone rurale. Au total, plus de 30000 jeunes issus d’une centaine d’établissements en auraient bénéficié. « A travers ses règles, basées sur le respect d’un temps donné, sur la notion de collectivité et d’échange, il participe à l’apprentissage de la citoyenneté », avance Agathe Saint-Jean, directrice associée d’A2 Consulting, qui pilote la fondation. 

Patrick Loubatière, professeur de français au collège-lycée Joffre, à Montpellier, fait partie de ces enseignants précurseurs. Voilà vingt et un ans qu’il initie les élèves aux pouvoirs si particuliers du roi, de la dame, du fou ou du cavalier. « Le recul et l’expérience que l’on a aujourd’hui démontrent que les échecs augmentent les capacités de concentration, de réflexion, d’anticipation ou de synthèse. Mais ses atouts vont bien au-delà encore », explique ce passionné. Un bon joueur d’échecs doit aussi faire preuve de créativité. 

Un apprentissage dès la maternelle

« Lorsque vous entamez une partie, vous devez élaborer une stratégie, un projet, selon votre propre personnalité », insiste-t-il. Une bulle d’inventivité dans un système scolaire un peu trop tourné vers le « par coeur » et le bachotage. Le jeu fait des émules… jusqu’en maternelle.  

Les élèves de grande section de l’école Les Terres blanches, à Frontignan (Hérault), apprennent les règles à travers de petites histoires, comme celle du « château blanc » qui affronte le « château noir ». Les échecs servent aussi à l’apprentissage des phonèmes. « On écrit des mots sur des étiquettes, à eux de reconstituer des phrases telles que ‘le cavalier surveille le fou’ ou ‘la reine se positionne en D4′ », précise la directrice, Gislène Guerreau. Rien de tel, enfin, pour se familiariser avec les déplacements dans l’espace et assimiler les notions d’horizontalité ou de verticalité.